Olivier Turpin

En 1996, il commence un travail vidéo avec son frère jumeau Franck, leur démarche interroge la question du double et de l’identité. Le duo s’intéresse au médium vidéo car il rend possible la captation d’actions dans la durée. Les protagonistes se mettent en scène dans des vidéos où le paysage naturel et urbain tient une place primordiale. Avec leurs actions performatives réalisées en direct ou enregistrées, ils créent leur propre histoire.

Depuis, le duo a développé une pratique "multimédium" et a exposé dans de nombreux lieux et pays. Pour la résidence qu’il a effectuée à Abbadia du 22 octobre 2008 au 22 janvier 2009, Olivier Turpin a choisi de travailler le médium peinture en solo. En se promenant sur la plage d’Hendaye, il a commencé par photographier les surfeurs puis leurs a demandé de poser devant l’objectif. Il s’est ainsi "reconnecté" avec une ancienne série de peintures réalisée en 1993 intitulée les skieurs (qui prenaient la pose). Des skieurs aux surfeurs, Olivier Turpin explore la société des loisirs (sports de glisse) et ses espaces vacants (pauses / poses). Un glissement s’est opéré entre ces deux séries: Des images trouvées des skieurs, on est passé à des images de surfeurs mises en scène. Le rapport étroit à la photographie fait advenir une réalité sensible de l’image peinte.

Dans l’exposition Olivier Turpin dans la pose du surfeur présentée du 4 au 27 juin 2009 aux Ecuries de Baroja à Anglet, il montre une sélection de ses peintures où le blanc fini par "désindividualiser" les surfeurs jusqu’à les faire quasiment disparaître.

Turpin, dans son retournement syllabique crée le mot pintur, une peinture sans le souffle du e, une peinture restée en suspens, comme inachevée, une peinture sans repentir, une peinture qui se limiterait à son énoncé et claque comme un logo. L’envers de la peinture, serait donc un des Turpin, pris au piège de l’effet miroir de la gémellité.

Tur’pin?!! Eh oui il repeint. Cette mise en action, ou plutôt ce passage à l’acte,produit-il une peinture qui se pose en termes de peinture, comme forme de finitude ou se définirait comme un processus mis en marche et laissé à l’épreuve de ses relais, de ses regardeurs. Mais encore, ce passage à l’acte fait-il seulement image, produisant les indices signifiants de l’action, renonce-t-il à la saveur du consommé et la consistance de sa forme aboutie?

Venir au monde à deux comme les jumeaux Turpin, c’est intégrer l’idée que l’autre, extérieur à soi, est, en quelque sorte, la projection et la mesure la plus tangible de son être, le je s’articule avec le nous et jouxte le il. Vivre, c’est donc être ensemble, cet être ensemble sera porté par les frères Turpin jusqu’à travailler et créer en binôme. Curieusement cette série de peintures instaure une rupture car elle place Olivier Turpin dans un régime solitaire, une mise à distance du double, son absence; celle-ci pèse de tout son poids sur cette série, l’inscrivant dans une forme d’incomplétude.

Venons en au fait, cette production picturale trouve son origine dans un travail photographique dans lequel différents personnages posent dans le cadre de leur "action". Ces photographies, d’une banalité exemplaire, présentent des surfeurs mollement moulés par leurs combinaisons, leurs planches à la main ou plantées devant eux dans le sable, la mer toujours proche.

Ces photographies semblent avoir été trouvées (dans un magazine, publicités sportives ou album familial), tant le standard préexiste à cette énième prise. De la photo, nous retiendrons la capacité à capter l’instantané d’une pose convenue. Dépassant l’immédiateté de cette mise en présence, une seconde lecture s’impose; celle-là est introduite par une écriture héraldique dont le référent pourrait être la "blasonnerie". En effet, ces personnages portent leurs couleurs comme des écus, des boucliers, des peintures de guerre. Ces signes emblématiques de la communauté de surfeurs, chevaliers de la vague, se réduit là à son aspect décoratif. Chevaliers venus du nouveau monde, ils répondent à l’appel de la mer pour être aussitôt rejetés par elle; leur mot d’ordre: rester debout, se maintenir sur les planches, triompher de la vague quivous rejette sur la plage, rester debout comme de petites statues posées sur leur socle de fibre de verre. Petites miniatures posées sur l’immensité de la mer qui tentent de résister à l’enfouissement, la disparition, posées là comme des allégories. Ils jouent ici un condensé de la vie, jouissent de ces petits triomphes qu’ils remportent pour eux-mêmes sur cet immense champ de force. Exutoire des drames et des déboires de la vie, ici on s’expose au risque minimum, boire la tasse. Jouer donc, se dépenser sans retenue, être acteur d’une vie de rêve, triompher sur sa planche, apparaître enfin dans un équilibre parfait entre ciel et terre, se nourrir de cette image que l’on souhaite donner de soi, garder de soi. Des adultes renouant avec les représentations chevaleresques de leur enfance. Avoir le costume qui sied le mieux à cette représentation, être beau, se différencier de l’autre, être avec lui et contre lui, poser avec lui pour immortaliser cet accomplissement dans la prise de vue.

C’est cela que fixe Olivier Turpin dans ces peintures, cette juvénilité d’adultes en costumes bigarrés, en panoplie de sportif, porte-étendards, portés comme des étendards, étant d’art banal et banalisant. Ces enfants devenus adultes évoquent toutes ces vies échouées dans les files de supermarchés, sur les autoroutes, des vies aveuglées, déportées, déversées dans le gagner plus pour dépenser plus, se dépenser plus, rester dans la course, conquérir plus et ainsi construire une image de soi toujours plus brillante. Des adultes inachevés poursuivant leurs rêves d’enfants, soumis à l’ordre du plus, mais sans la fraîcheur de l’innocence; des gens inscrits dans la ligne et le contour normal des choses, dans la couleur locale et ses standards planétaires, des gens à colorier aux couleurs des drapeaux, des marques et de toutes les crèmes qui préservent de l’empreinte de la vie, vivre une éternelle jeunesse. La peinture s’ancre donc sur un standard photographique, la photo de groupe, de famille. Ces portraits tout d’abord reproduit en dessin sur la toile, tracés et exécutés sans souci de faire apparaître du volume ou de la lumière, se bornent à contourner les formes, comme pourrait le faire un cartographe. Leur fonction essentielle est de déterminer la frontière entre les zones de couleurs. Un relevé territorial.

Les parties correspondantes au zones détaillées, visages,mains ou parties de paysage, sont laissées vacantes, dans cette nudité crue, celle d’un trait dépouillé de tout effet de style, sans nervosité ni douceur, mais dans l’aphonie d’un trait qui ne projette que son absence de caractère et de tout affect, un trait indécis qui semble être la décalque ou l’ombre de lui même, son doublage maladroit, son double criant d’absence, un trait qui se refuse à faire apparaître l’identité, qui se refuse à une définition précise. Il reste en suspens, dans le ahanement de l’être, dans l’unique satisfaction du faire, du fait, du constat.

La couleur poursuit cette logique de cartographe et de mise à plat du réel, elle enchaîne une suite d’aplats colorés, remplissant les zones pré-dessinées. Le seul arbitrage consiste à maintenir un équilibre entre les différentes masses colorées. Bien que le dessin tende à redoubler la banalité du cliché original, la couleur, tout en respectant les contours prend quelques libertés, on repeint la plage en vert gazon, l’océan en rose turquoise, le ciel en bleu de Prusse.Malgré le dessin et les aplats de couleur saturée, il n’y a là rien de particulièrement pop ou fauve ou encore moins conceptuel, Olivier Turpin peint comme tout un chacun peint son appartement, les goûts, les couleurs, c’est mouvant. Il peint comme on compose un décor, crée un logo, sa carte de visite. Il peint comme ces gens choisissent la couleur de leur planche de surf, il peint l’approximatif et le banal, il peint l’individu identifié à un groupe et ce groupe à son environnement. Il peint des gens au couleurs de leurs sponsor, un certain déficit identitaire, il peint les contours du réel pour tenter de mesurer son ancrage, il peint le vivant et la disparition qui lui colle à la peau, il peint nonchalamment la surface des choses, il peint comme l’image dépeint le réel, la profondeur arrive comme par effraction, il peint comme un professionnel dont la profession de foi serait l’amateurisme, il peint des gens qui ne se voient peut être même pas en peinture ou pour le moins se cachent derrière la même crème à bronzer. Il peint comme on occupe un territoire, comme on occupe le temps.

Il s’occupe à peindre des gens qui s’occupent à faire du sport, il fraye de couleur les surfaces qu’ils habitent peut-être sans les voir. Il peint le temps d’une pose photographique, ce moment ou les visages se vident des grimaces accompagnant l’action, il peint ce moment de recomposition. Il peint l’aspiration de toute chose à sa décomposition, il peint le commun des mortels, il peint des solitudes, il peint des gens que seule lamort achèvera, il peint un désir de liberté récupéré par la société de consommation.

Face à ces toiles, nous pourrions faire un parallèle avec le Réalisme capitaliste de Gerhard Richter, mais là ou celui-ci rachète le réel en le sublimant par la peinture, dépassant le cliché pour le faire basculer dans une intemporalité propre à l’oeuvre d’art et son unicité, Olivier Turpin ne s’impose pas comme un démiurge, mais plutôt comme un médium, il restitue au réel toute sa banalité, sa non-transcendance. Il adopte la façon la plus communément superficielle d’appréhender la réalité, d’esquisser ses contours, la recherche du chemin le plus court, le process le moins laborieux. Il situe le niveau d’exigence en parfaite conformité avec le régime des apparences propres à ces surfeurs qui posent à côté de la vague, le costume étant le signifiant majeur, je m’habille en surfeur, donc je suis…surfeur. J’utilise des couleurs et les ordonne dans un tracé, je suis donc peintre.

Turpin peint comme on accède aux loisirs, comme on remplit sa vie d’une suite de divertissements, de diversions à l’accomplissement de l’être, Turpin comme l’on se met en vacance, du travail et de l’ennui, des ennuis, Turpin comme on s’oublie dans le faire. L’art de s’absenter à soi même, de neutraliser les désirs et leur accomplissement au profit de l’appartenance à un groupe, à un système, l’art de neutraliser l’identité pour s’inscrire dans le régime des apparences, de l’image, du vu plutôt que la vision, comme on surf sur le réel et cherche le creux de la vague. A l’instar d’un Francis Bacon qui positionne es personnages dans un aplat de couleur et fait crisser la matière dans un froissement de chair et d’os, Olivier Turpin se refuse à signifier toute douleur, tout affect, ça crisse parce que le silence qu’il installe repose sur un vide, une absence qui reposerait sur une vacance de l’être aux prises avec la superficialité de l’image, sa veine tentative de réduction en logo qui achoppe là ou l’identité marque sa résistance, image que chacun a à charge de remplir, de finir ou d’accepter dans sa vacuité.

Turpin peint à crédit, il peint l’érosion des valeurs et de la vision, il peint le factice. Il peint la survalorisation du médium; comme "vu à la télé" peut conférer une forme d’incontournabilité, "fait en peinture" élèverait le sujet à son intemporalité. Olivier Turpin comble ainsi le vide existentiel par sa représentation et ce jeu de passe passe lui donne un réel crédit artistique.

Gilles Touyard, mars 2009, Le Pré Saint-Gervais.

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