Philippe Fangeaux
France (13)
Philippe Fangeaux fait le choix de points de vue singulièrement actifs qui s'engendrent et se succèdent. Sa peinture se manifeste ainsi sur divers fronts tout en n'étant vraiment nulle part et en échappant aux étiquettes commodes. Rien n'apparaît ni ne se laisse jamais saisir tout entier. Tout reste fragmentaire, insaisissable, flottant et pourtant curieusement insistant. C'est bien par maints côtés, à un art du décalage, de décentrage que l'on a affaire. D'abord parce que cette peinturese développe pertinemment dans des stratégies de mise à distance qui apparaissent comme une manière d'apprivoiser et d'autoriser, par projections et transferts, des effets de perseption et de sensations, des déploiements de pulsions et de fantasmes. Ensuite parce qu'elle sait créer une qualité d'étonnement dans l'organisation de phénomènes de récurrences, de répétitions, de variations et de vertiges. Philippe Fangeaux construit des modèles expérimentaux d'images à partir d'un entrelacement de situations banales et de registres identifiables: paysages, animaux, poupées, autoportraits, jouets, fictions, métaphores, citations. Il s'agit pour lui d'enregistrer les modes de vision et d'interrogation d'un glissement ouvertement dérangeant dans un monde apparemment familier. Les décors, les personnages et les objets ne se répondent pas. Les sensations ne communiquent pas entre elles. Les questions restent sans réponse. Tout est énigmatique. L'image s'amplifie, se complique, ouvre des parenthèses qui s'insinuent et s'enchevêtrent les unes dans les autres. Semblable à une surface agitée, diversifiée par les remous de courants contraires, elle semble s'affranchir des obstracles qui pourraient arrêter son développemenyt et s'offre à nous sans la moindre baisse de présence et dans la contamination de ses substances et de leurs infinies possibilités d'exploration.
Philippe Fangeaux assemble des éléments de réalité qui devraient s'exclure mutuellement. Il nous invite donc à une lecture de chocs expressifs et d'articulations brutales qui finissent par déterminer les conséquences d'une réalité troublée sur laquelle on a pas de prise décisive, qui ne cesse de fuir tout en se laissant étrangement poursuivre. Il se dégage de sa peinture une certaine griserie. L'imaginaire s'engouffre dans le réel, l'aère, l'irrigue, lui communique une part de son instabilité. De l'un à l'autre, s'opère un constant passage, et comme une confusion délestée de toute pesanteur. Ces deux pôles produisent des éclats de récits qui n'arrêtent pas de s'entrecroiser, nous sollicitant là où des propositions et des intrigues nous convoquent et nous attendent, non pas dans le sens d'un piège ou d'une bifurcation quelconque, mais d'un itinéraire arborescent sous l'emprise de forces multiples dont nous avons quelques difficultés à saisir d'emblée l'enjeu et les motivations. Philippe Fangeaux enclenche ainsi un mécanisme de mise en scène de modèles fictionnels et autobiographiques qui participent à la même effervescence car constamment travaillés par un besoin de confrontations. Ce qu'il cherche à accomplir est une sorte de plongée inlassablement répétée dans ce jeu de miroirs et d'échos pour en rapporter tout ce qui peut encore faire image. Sa peinture ainsi devient plurielle, une entité dont les éléments constitutifs ne s'unissent pas, diffèrent sans s'annuler, sans se subordonner les uns aux autres, inscrivant la possibilité d'un tout dont les parties coexistent dans leurs différences, dans une incompatibilité positive. Elle va et vient, retourne sur elle même et cherche moins à progresser vers une conclusion nette et définitive, qu'à faire apparaître l'existence d'un centre inconnu.